Le bar déborde de gens excités à l’idée de vider leurs verres et leurs couilles dans la même soirée. C’est toujours aussi terrifiant le regard d’un mec bourré fixé sur toi après qu’il se soit enfilé une bouteille et deux rails de coc. On dirait, je sais pas, une sorte de rapace qui s’apprête à bondir sur sa proie pour la manger. Ceux qui viennent en bande sont les plus softs. Ils rigolent entre eux en matant des filles et en jouant à qui dira le plus de conneries pour amuser la galerie. Heureusement pour moi, je suis perchée sur mon estrade alors je ne les entend pas.  De là haut, je les surplombe tous, les dominant presque, et je me sens en sécurité. Ils ne peuvent pas m’atteindre, et même s’ils essayaient, un type de la sécurité viendrait sur le champ leur dire de descendre. Pendant les premières heures de la soirée, je me sens comme une grande actrice Américaine que l’on adule et que l’on aime. La plupart ne sont pas encore bourrés, et je ressens encore l’excitation des projecteurs. Au début je me sens belle et j’en joue en me tortillant comme un serpent sur la scène. J’ai mis des paillettes sur mes yeux, du gloss sur mes lèvres, j’ai enfilé des talons et mis un décolleté plongeant. Les lumières exhibent mon corps en multicolor. Je me sens brûlante et forte. Mon corps glisse comme une vague sur un océan sucré. J’ai l’impression d’être enduite de miel, piquée à vif d’une sensualité qui donne des ailes. Mais après ces sensations d’excitation extrême, c’est la redescente. Les hommes aux yeux de faucon viennent s'asseoir devant moi, tenant leurs verres embués entre leurs doigts poilus. Ils me fixe en se léchant les lèvres, et j’arrive à percevoir une substance blanchâtre au coin de leurs bouches qui me donne envie de vomir. Ils analysent mes cuisses, mes seins et mes hanches et en un rien de temps leurs queues se dressent comme un piquet sous leurs jeans crades. Je continue à me dandiner sans rien dire, mais j’ai des frissons d’effrois au bas du ventre. Tout à coup je me sens ridicule, et nue, comme un morceau de viande qui pend au bout d’une chaîne rouillée. Le boucher est devant moi, avec sa hache en acier bien aiguisée, tout prêt à me découper. Je ressens un dégoût profond et une peur immense qui me fait suer jusqu’à faire couler mon mascara sous mes yeux. Parfois j’ai même l’impression de me pisser dessus. Quand je rentre chez moi vers 4h du matin, j’ai l’air d’une putain assoiffée de Manhattan qui déambule à poil sur les trottoires vides. J’essaie de me cacher comme je peux avec mon manteau léopard synthétique, parce que j’ai honte. Je veux dormir et me réveiller dans un univers parallèle où je serais regarder autrement.